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CAA Bordeaux, 8 novembre 2016, n° 15BX00313

CAA Bordeaux, 8 novembre 2016, n° 15BX00313

Un critère "Adéquation de l'offre au cahier des charges" est trop général d’autant plus que le règlement de la consultation ne décrit pas non plus les modalités de sa mise en œuvre". Le pouvoir adjudicateur doit en principe exercer un contrôle de conformité des offres au CCTP et rejeter comme irrégulières les offres ne respectant pas les exigences de ce document. Le pouvoir adjudicateur ne peut faire du respect d'un document contractuel dont les exigences devaient être respectées par les candidats, un critère d'appréciation de l'offre.

Contexte

Le litige porte sur un marché public dont les critères de sélection ont été définis comme suit dans le règlement de la consultation : "Prix" pondéré à 60%, "Adéquation de l'offre au cahier des charges" pondéré à 30% et "Délai d'intervention" pondéré à 10%.

Une société, candidate évincée, conteste la légalité de la procédure en raison de l'imprécision du deuxième critère.

Arguments des parties

La société requérante soutient que le critère "adéquation de l'offre au cahier des charges" est trop imprécis et "laisse au pouvoir adjudicateur une liberté de choix discrétionnaire ne permettant pas de garantir l'égalité de traitement des candidats". Elle argumente que cette formulation "ne permet pas de savoir quelles dispositions du cahier des charges sont visées".

En défense, l'État avance que "tout soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent" aurait dû comprendre que ce critère visait à apprécier "la concordance et la cohérence des termes de l'offre (moyens humains, organisation) au regard des exigences du CCTP, en l'espèce exprimées en surfaces à nettoyer, type de local et de sol, fréquence et méthode de nettoyage".

Analyse du juge

Le juge commence par rappeler les principes applicables, notamment que "l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats". Cette obligation découle du "II de l'article 1er" du code des marchés publics qui énonce les principes fondamentaux de la commande publique.

Examinant ensuite le critère contesté, le juge constate qu'il était "très général" et que "le règlement de la consultation ne décrivait pas non plus les modalités de sa mise en œuvre". Il rejette l'argument de l'État en notant que "le règlement de consultation ne comportait aucun élément en ce sens et n'indiquait pas les dispositions du cahier des charges qui devaient être appréciées par le pouvoir adjudicateur".

Le juge soulève également une incohérence dans l'approche du pouvoir adjudicateur : "le pouvoir adjudicateur devait en principe exercer un contrôle de conformité des offres au CCTP et rejeter comme irrégulières les offres ne respectant pas les exigences de ce document". Il en déduit que le pouvoir adjudicateur "ne pouvait faire du respect d'un document contractuel dont les exigences devaient être respectées par les candidats, un critère d'appréciation de l'offre".

En conclusion, le juge estime que le pouvoir adjudicateur "n'a pas porté à la connaissance des candidats les modalités de mise en œuvre des critères d'attribution du marché, et a ainsi porté atteinte au principe d'égal accès à la commande publique". Cependant, bien que le juge ait reconnu deux manquements dans la procédure de passation du marché (le manque d'information sur le personnel à reprendre et l'imprécision du critère "adéquation de l'offre au cahier des charges"), ces vices n'ont pas été jugés suffisamment graves pour justifier l'annulation du contrat.

***

[…]

1. Par avis d'appel public à la concurrence, publié le 6 février 2013 dans le journal France Guyane, le préfet de la Guyane a lancé une procédure adaptée pour l'attribution d'un marché public relatif aux prestations de nettoyage des locaux administratifs de la préfecture de la région Guyane. Par lettre datée du 23 avril 2013, la société Guyanet a été informée de ce que le marché avait été attribué à la société NetIbis et qu'elle-même avait été classée en troisième position s'agissant des variantes 1 et 2. La société Guyanet relève appel du jugement n° 1300581 du 18 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce marché.

[…]

En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisance des informations données par le pouvoir adjudicateur quant aux caractéristiques essentielles du contrat :

6. En vertu du principe d'égalité de traitement des candidats, rappelé à l'article 1er du code des marchés publics, le pouvoir adjudicateur doit porter à la connaissance de tous les candidats les caractéristiques essentielles du contrat. S'agissant d'un marché de nettoyage, et donc, d'une activité à forte intensité de main d'oeuvre, la masse salariale mise en oeuvre par le précédent titulaire du marché, dont il est constant qu'elle était susceptible de devoir être reprise, devait être portée à la connaissance des candidats.

7. Il est constant que le pouvoir adjudicateur n'a pas communiqué aux candidats la liste des salariés à reprendre en application de l'article 7 de la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011 étendue par l'arrêté du 23 juillet 2012. Il ne saurait à cet égard être reproché à la société requérante de n'avoir pas posé de questions concernant la reprise des personnels dès lors que ces informations devaient figurer dans les documents de la consultation. Par suite, et à l'exception de la précédente attributaire du marché, les candidats n'ont reçu à aucun moment une information suffisante sur l'élément essentiel que constituait, eu égard au poids des charges de personnel dans l'activité considérée, la masse salariale qu'ils étaient susceptibles de devoir reprendre pour la préparation de leur offre. Par suite, l'absence d'information des entreprises candidates sur le personnel à reprendre a constitué une atteinte au principe d'égalité de traitement des candidats.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'imprécision du critère de sélection " adéquation de l'offre au cahier des charges " :

8. Les marchés passés en application du code des marchés publics sont soumis aux principes qui découlent de l'exigence d'égal accès à la commande publique, rappelés par le II de l'article 1er de ce code. Les marchés passés selon la procédure adaptée prévue à l'article 28 du même code sont soumis aux dispositions de son article 1er, comme tous les contrats entrant dans le champ d'application de celui-ci. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, l'information appropriée des candidats doit alors également porter sur les conditions de mise en oeuvre de ces critères. Il appartient au pouvoir adjudicateur d'indiquer les critères d'attribution du marché et les conditions de leur mise en oeuvre selon les modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné. Lorsque le pouvoir adjudicateur décide de limiter le nombre des candidats admis à présenter une offre, il lui appartient, y compris lorsqu'il met en oeuvre une procédure adaptée sur le fondement de l'article 28 du code des marchés publics, d'assurer l'information appropriée des candidats sur les critères de sélection de ces candidatures dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Cette information appropriée suppose que le pouvoir adjudicateur indique aussi les documents ou renseignements au vu desquels il entend opérer la sélection des candidatures. Par ailleurs, si le pouvoir adjudicateur entend fixer des niveaux minimaux de capacité, ces derniers doivent aussi être portés à la connaissance des candidats. Cette information appropriée des candidats n'implique en revanche pas que le pouvoir adjudicateur indique les conditions de mise en oeuvre des critères de sélection des candidatures.

9. La société Guyanet fait valoir que les critères de sélection des offres sont imprécis et laissent au pouvoir adjudicateur une liberté de choix discrétionnaire ne permettant pas de garantir l'égalité de traitement des candidats dans la mesure où la notion d' " adéquation de l'offre aux cahiers des charges ", pondérée à hauteur de 30%, ne permet pas de savoir quelles dispositions du cahier des charges sont visées.

10. Le règlement de la consultation a retenu, parmi les critères d'attribution, le " prix " de la proposition pour un pourcentage de 60%, l' " adéquation de l'offre au cahier des charges " pour un pourcentage de 30% et le " délai d'intervention ", pondéré à 10%. Or, le second critère était très général et le règlement de la consultation ne décrivait pas non plus les modalités de sa mise en oeuvre. Si l'Etat soutient, dans son mémoire en défense, que " tout soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent " devait comprendre que ce second critère visait à apprécier " la concordance et la cohérence des termes de l'offre (moyens humains, organisation) au regard des exigences du CCTP, en l'espèce exprimées en surfaces à nettoyer, type de local et de sol, fréquence et méthode de nettoyage ", le règlement de consultation ne comportait aucun élément en ce sens et n'indiquait pas les dispositions du cahier des charges qui devaient être appréciées par le pouvoir adjudicateur. En outre, le pouvoir adjudicateur devait en principe exercer un contrôle de conformité des offres au CCTP et rejeter comme irrégulières les offres ne respectant pas les exigences de ce document. Dans ces conditions, le pouvoir adjudicateur, qui ne pouvait faire du respect d'un document contractuel dont les exigences devaient être respectées par les candidats, un critère d'appréciation de l'offre, n'a pas porté à la connaissance des candidats les modalités de mise en oeuvre des critères d'attribution du marché, et a ainsi porté atteinte au principe d'égal accès à la commande publique.

En ce qui concerne l'absence de notation distincte des deux variantes :

11. Aux termes de l'article 3.1 du cahier des clauses techniques particulières : " Le nettoyage sera effectué par local ou zone selon une fréquence définie comme suit. Deux variantes ont été établies. Les candidats devront répondre sur ces deux variantes ".

12. La société Guyanet reproche au pouvoir adjudicateur d'avoir procédé à une notation globale des variantes 1 et 2 s'agissant des critères relatifs à l'adéquation de l'offre au cahier des charges et au délai d'intervention.

13. Selon le CCTP, la différence entre les deux variantes du marché tient au fait que la variante 1 prévoit un nettoyage des vitres des bâtiments une fois par semestre alors que la seconde variante retient un nettoyage trimestriel. Ces variantes diffèrent ainsi seulement par la fréquence de nettoyage des vitres des bâtiments. La circonstance que s'agissant de l'adéquation de l'offre et des délais d'intervention, la note, pour ces deux variantes, ait été de 1, ce qui correspond à une adéquation excellente de l'offre au CCTP et à un très bon délai d'intervention, quelle que soit la variante, ne saurait suffire à établir que le pouvoir adjudicateur aurait procédé à une notation globale des offres de bases et des variantes alors que les notes finales pour chacune des options sont finalement différentes. Enfin, le classement des sociétés étant identique quelle que soit l'option retenue, il ne saurait lui été reproché de n'avoir pas formellement indiqué le double classement résultant de l'analyse des offres en fonction des variantes.

[…]

La requête de la société Guyanet est rejetée.

[…]

Jurisprudence

CAA Marseille, 8 avril 2013, n° 10MA03545, cabinet MPC Avocats (Appréciation de la valeur technique de l'offre et analyse du contenu du rapport d’analyse des offres et de la note méthodologique. Règles d’indemnisation et réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat. Autorité adjudicatrice qui n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation de la valeur technique de l'offre)

CAA Nantes, 28 mars 2013, n° 11NT03159, SAS Guèble (Si une spécification technique particulière est imposée par la personne publique le juge doit rechercher si elle est justifiée par l’objet du marché et si elle a ou non pour effet de favoriser ou d’éliminer certains opérateurs économiques. Si l’offre doit comporter un mémoire justificatif et que la société, ne fournit pas l’ensemble des justificatifs exigés pour permettre d’apprécier la valeur technique de l'offre, l’entreprise n’est pas fondée à soutenir que le choix du titulaire aurait été fait sur la base d’un critère non prévu au règlement de la consultation).

CAA Douai, 16 novembre 2012, n° 11DA01162, LILLE METROPOLE HABITAT (Dès lors qu’un élément de la valeur technique de l'offre permet d’apprécier la qualité du mémoire technique des entreprises, il doit s’analyser comme un sous-critère et non comme une simple méthode de notation. Si cet élément est susceptible d’exercer une influence sur la présentation et la sélection des offres par les candidats le pouvoir adjudicateur doit le mentionner dans les documents de consultation. En cas de chances sérieuses d’emporter le marché, l’entreprise a droit à une indemnisation de son manque à gagner calculé sur le montant total du marché (dans le cas d’espèce), intégrant la tranche ferme et la tranche conditionnelle) 

Conseil d’État, 2 août 2011, n° 348711, SIVOA - Mentionné dans les tables du recueil Lebon (Pour l'appréciation des critères de sélection des offres il faut bien distinguer critère et simple méthode de notation des offres. En procédant à une simulation nécessaire à l’appréciation du critère du prix eu égard à la coexistence de prix forfaitaires et de prix unitaires, le pouvoir adjudicateur met en oeuvre une simple méthode de notation destinée à évaluer ce critère, sans modifier ses attentes définies dans le règlement de la consultation par les critères de sélection et donc sans poser un sous-critère assimilable à un critère distinct)

Conseil d’État, 23 mai 2011, n° 339406, Commune d'Ajaccio - Mentionné au tables du recueil Lebon (Pour l'appréciation des critères de jugement des offres il faut bien distinguer critère et simple méthode de notation des offres)

Conseil d’État, 18 juin 2010, n° 337377, Commune de Saint Pal de Mons, Publié au recueil Lebon (Si le pouvoir adjudicateur décide de faire usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, il doit porter ces dernières informations à la connaissance des lors que ces sous-critères doivent être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection des offres)

Conseil d’État, 31 mars 2010, n° 334279, Collectivité Territoriale de Corse, Mentionné dans les tables du recueil Lebon (Si le pouvoir adjudicateur a l’obligation d’indiquer dans les documents de consultation les critères d’attribution du marché et leurs conditions de mise en oeuvre, il n’est en revanche pas tenu d’informer les candidats de la méthode de notation des offres).