TA Grenoble, 23 janvier 2015, n° 1407728
Une offre est-elle irrégulière en raison de l'absence du cadre-type de mémoire technique requis par le RC ? (même si la forme exacte du cadre-type n'était pas respectée et que le contenu nécessaire était présent dans les offres). Attention la position de la jurisprudence est du cas par cas.
Le règlement de consultation exigeait des candidats qu'ils fournissent les cadres-type des mémoires techniques élaborés par le pouvoir adjudicateur. Cependant, une société a utilisé un autre format de présentation en reprenant les rubriques des cadres-type dans un document modifié. Bien que la forme du cadre-type n'ait pas été respectée, le contenu requis était présent dans les offres de la société. Ainsi, le document modifié contenait tous les renseignements techniques nécessaires, permettant au pouvoir adjudicateur d'exploiter les offres de manière équivalente à celle permise par les cadres-type. Par conséquent, les offres étaient conformes aux exigences du règlement de consultation et ne pouvaient être considérées comme irrégulières au sens de l'article 53 du code des marchés publics. En rejetant les offres pour ce motif, le pouvoir adjudicateur aurait méconnu ses obligations de mise en concurrence.
Analyse du jugement du tribunal administratif
Dans une ordonnance de 2015 (TA Grenoble, 23 janvier 2015, n° 1407728), le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a prononcé la nullité de deux marchés publics conclus par la commune de Meylan, au motif que le rejet des offres de la société requérante comme "irrégulières" était injustifié. Cette décision met en lumière l'importance d'appliquer de manière raisonnée les exigences formelles lors de l'analyse des offres.
Contexte
La commune de Meylan a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert pour un marché de vidéosurveillance comportant deux lots. Bien que la société requérante ait soumis des offres, celles-ci ont été écartées comme "irrégulières" par le pouvoir adjudicateur, au motif que le "cadre-type de mémoire technique" exigé au règlement de consultation n'avait pas été fourni.
S'estimant lésée, la société a d'abord introduit un référé précontractuel visant à faire annuler la procédure. Celui-ci étant resté sans effet, la commune a signé les marchés avec les autres soumissionnaires. La société a alors exercé un référé contractuel demandant la nullité des marchés.
Exigences du règlement de consultation quant au formalisme
C'est sur ce point que le juge des référés a fait une analyse détaillée. Selon le considérant 4, "si les paragraphes 4.1 et 5.1 du règlement de consultation exigeaient des candidats qu'ils renseignent (...) les cadres-type des mémoires techniques (...), la société requérante a repris les rubriques, à nomenclature identique, dans un mémoire dont elle a modifié la présentation ».
Document contenant cependant tous les renseignements techniques
Le juge poursuit : "ce document contenant tous les renseignements techniques sur lesquels les cadres-type exigeaient un engagement contractuel des candidats, permettait au pouvoir adjudicateur, à sa seule lecture et sans aucune recherche ou recoupement, une exploitation des offres identique à ce qu'aurait permis ces cadres-type".
En d'autres termes, bien que la forme du "cadre-type" n'ait pas été respectée à la lettre, le contenu exigé était bel et bien présent dans les offres. Dès lors, "les offres de la requérante respectaient les exigences du règlement de la consultation et (...) ne pouvaient être regardées comme irrégulières".
Cette position prend appui sur l'article 53 du Code des marchés publics qui définit une offre irrégulière comme "une offre qui (...) est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation".
En l'espèce, le juge considère que malgré l'absence du cadre formel, le contenu relatif au mémoire technique était complet.
L'ordonnance souligne que "le pouvoir adjudicateur n'a pu les rejeter pour ce motif sans méconnaître ses obligations de mise en concurrence". C'est la raison pour laquelle la nullité des deux marchés a été prononcée sur le fondement de l'article L.551-18 du Code de justice administrative.
Cette décision rappelle l'importance pour les acheteurs publics d'appliquer les exigences formelles avec discernement lors de l'analyse des offres. Si le respect de ces exigences est essentiel, une approche trop rigoriste peut conduire à l'éviction injustifiée d'offres pourtant conformes sur le fond. Une lecture bienveillante et pragmatique des offres, dans le respect des grands principes de la commande publique, semble préconisée.
En conclusion, cette décision démontre la nécessité pour les acheteurs publics de faire preuve de pragmatisme dans l'application des exigences formelles, en accordant la priorité au respect du fond et des grands principes fondamentaux de la commande publique.
Texte du jugement
[...]
Considérant
que si les paragraphes 4.1 et 5.1 du règlement de consultation
exigeaient des candidats qu'ils renseignent, pour chacun des lots
auxquels ils soumissionnaient, « les cadres-type des mémoire
techniques» qu'avait élaborés le pouvoir adjudicateur, la société …
a repris les rubriques, à
nomenclature identique, dans un mémoire dont elle a modifié la
présentation ; que ce document contenant tous les
renseignements techniques sur lesquels les cadres-type exigeaient un
engagement contractuel des candidats, permettait au pouvoir
adjudicateur, à sa seule lecture et sans aucune recherche ou
recoupement, une exploitation des offres identique à ce qu'aurait
permis ces cadres-type; qu'il suit de là que les offres de
la requérante respectaient les exigences du règlement de la
consultation et qu'elles ne pouvaient être regardées comme
irrégulières au sens du 1 1° précité de l'article 53 du code des
marchés publics; que le pouvoir adjudicateur n'a pu les rejeter pour
ce motif sans méconnaître ses obligations de mise en concurrence ;
[...]
Voir également la jurisprudence administrative sur les mémoires techniques
Mémoire technique ni signé ni tamponné et non conforme aux conditions exigées par le règlement de consultation entrainant l’irrégularité de l’offre (TA Marseille, 11 août 2023, n° 2306900)
Non fourniture du cadre de réponse technique. Société dont l’offre a été rejetée, prétendant que son offre a été altérée, car elle a inclus des informations environnementales dans son mémoire technique. Cependant, le règlement de la consultation spécifie clairement les critères pertinents pour évaluer la "performance environnementale", incluant la quantification des émissions de CO2, l'utilisation de matières respectueuses de l'environnement, entre autres. Le rejet de l'offre indique que la société n'a pas rempli le cadre de réponse requis pour ce critère, ce qui a affecté sa note. Malgré son argument selon lequel ce cadre n'était pas obligatoire, le règlement exigeait sa soumission. De plus, le fait que l'acheteur ait mal interprété l'offre de la société ne constitue pas une altération de celle-ci, mais relève de son évaluation. Par conséquent, la société n'a pas de fondement pour prétendre que son offre a été altérée (TA Melun, 17 mars 2023, n° 2302186).
Entreprises : Privilégiez un mémoire technique de qualité plutôt qu'un document trop général et donc insuffisamment précis et spécifique. L’acheteur peut rejeter l'offre d'une société, à laquelle il reproche d'avoir fourni un mémoire technique trop général et donc insuffisamment précis et spécifique au regard des besoins du marché (TA Paris, 5 janvier 2023, n° 2328772).
Le mémoire technique doit comprendre la description détaillée des prestations si le règlement de consultation du marché l’impose. Si l’offre technique produite par une société soumissionnaire ne comporte pas certaines descriptions exigées l'offre correspondante ne respectant pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, elle est irrégulière (CAA Bordeaux, 24 mai 2018, n° 16BX01333).
Le règlement de la consultation est obligatoire dans toutes ses mentions et l'acheteur ne peut, en conséquence, attribuer le contrat à un candidat qui ne respecte pas une des exigences imposées par ce règlement, "sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres ou si la méconnaissance de cette exigence résulte d'une erreur purement matérielle d'une nature telle que nul ne pourrait s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où le candidat verrait son offre retenue". (CE, n° 426763, 22 mai 2019, Société Corsica Ferries).
Une société qui se borne à mentionner qu’elle disposait des différents personnels qualifiés qui pourraient être spécifiquement affectés au marché, sans produire aucun élément justificatif à l’appui de cette déclaration, rend son offre "non-conforme", c'est à dire irrégulière (CE, 21 mars 2018, n° 415929, département des Bouches-du-Rhône).